Embolie pulmonaire et voyages en avion

Maladies thromboemboliques et voyages en avion

L’association maladie thromboembolique veineuse (MTV) et voyage aérien a connu un retentissement inhabituel lorsque la presse grand public londonienne s’est emparée du sujet à la suite du décès d’une passagère de 28 ans arrivant d’Australie. Le 23 octobre 2000, Emma Christoffersen décède d’une embolie pulmonaire massive à l’aéroport d’Heathrow après un vol de 20 heures qui la ramenait de Melbourne. D’après un ami « elle avait beaucoup dormi et était restée assise car elle ne voulait pas déranger les gens à côte d’elle ».

Pourtant, ce phénomène est connu sous le nom de « syndrome de la classe économique »

En 2001, l’Organisation mondiale de la santé a réuni un panel d’experts et a conclu à un lien entre le transport par voie aérienne et le risque de MTV (2). Ce problème doit rester une préoccupation médicale en raison de l’accroissement du trafic aérien et du vieillissement de la population. En outre, le tourisme du troisième âge est en constante augmentation, et cette population présente souvent des comorbidités. MTV et voyage aérien : mécanismes La genèse de la MTV est résumée par la triade de VVirshovv (stase veineuse, lésion endothéliale et hypercoagulabilité). La stase semble être le facteur prépondérant. Des MTV avaient déjà été décrites en 1940 chez des londoniens confinés dans des abris antiaériens pendant les bombardements. La position assise et la compression par le bord du fauteuil favorisent la stase veineuse et probablement les lésions endothéliales, la déshydratation étant quant à elle un facteur d’hypercoagula­bilité. Mais d’autres éléments sont spécifiques à l’avion. Ainsi, l’hygrométrie, dans les avions de ligne, est basse (de l’ordre de 20%). On estime la perte d’eau à 4-5 litres par passager en cas de vol de plus de 10 heures. La pressurisation de la cabine sur les vols commerciaux est appelée « altitude cabine ». Elle correspond pour la majorité des avions modernes à une altitude comprise entre 1800 et 2 438 m. Cette notion d’altitude relative est importante car elle influence l’oxygénation sanguine. En 2006, un remarquable travail hollandais a permis d’affirmer la responsabilité du transport aérien dans les MTV (3). Des prélèvements sanguins (activation de la coagulation, fibrinolyse) ont été réalisés chez 71 volontaires dans trois situations successives : pendant un voyage aérien de 8 heures sur un appareil affrété pour l’étude ; chez des personnes confinées pendant 8 heures dans un cinéma, les conditions d’installa­tion et d’alimentation étant identiques ; dans les activités de la vie courante. Les concentrations du complexe thrombine/ antithrombine étaient significativement augmentées pendant le voyage aérien (17 %, contre 3 % pour le cinéma et 1 % pour les activités quotidiennes). Cependant, cette augmentation concernait majoritairement des femmes porteuses de la muta­tion du facteur V Leyden et qui prenaient une contraception estroprogestative (3).

En résumé, l’ « altitude cabine »  (par activation de la coagu­lation), l’immobilité, la stase et l’hypercoagulabilité sont des facteurs favorisant la survenue d’une MTV.

MTV et voyage aérien : quelle durée de vol ?

Il existe une relation entre la durée du vol et le risque de MTV (4). Le risque semble nul pour les vols de moins de 4 heures, mais il est majeur pour les vols de plus de 10 heures.

À la Réunion, nous avons vu le phénomène devenir tangible dès que la ligne Paris-Réunion est devenue sans escale (5). Le délai de manifestation de la MTV est variable : la manifesta­tion est souvent immédiate pour les formes graves d’embolie pulmonaire, et retardée pour les phlébites. Un délai maximal de 14 jours après l’arrivée permet de relier la MTV au voyage aérien. Au-delà, l’imputabilité est discutable (5, 6).

II semble acquis que tous les patients n’ont pas le même risque de développer une MTV lors d’un voyage aérien. La définition de groupes à risque est difficile. II faut prendre en considération les facteurs de risque classiques liés à la MTV (antécédents de phlébite, cancer, chirurgie récente à risque, traumatisme récent et/ou immobilisation par plâtre, pathologie cardiaque à poten­tialité emboligène, déficit connu en facteur de la coagulation, obésité, prise de contraceptifs estroprogestatifs). On retrouve de manière quasi constante au moins un facteur associé chez les patients qui ont présenté une MTV au décours d’un voyage aérien (6, 8, 9).

En résumé, il faut identifier des patients â risque de MTV en analysant les antécédents et les comorbidités.

La fréquence de la MTV liée au voyage aérien est faible, et le nombre de passagers voyageant en « classe affaire » l’est également. Deux études ont essayé de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse d’un risque accru associé à la « classe économique » (6, 10). L’étude sud-africaine n’a pu être finalisée et répondre clairement à la question. Sur la ligne Paris-Réunion, il n’y avait pas de différence significative entre les classes (6). L’immobilité est probablement un facteur majeur. Nous avons montré que le risque d’embolie pulmonaire était plus important en cas d’immobilité complète. Le siège peut être aussi un facteur d’immobilité : les passagers assis côté hublot ont plus de difficultés à se lever, surtout pendant les vols de nuit (11).

Tableau I. Facteurs influençant la survenue d’une embolie pulmonaire ou d’une phlébite chez 46 patients ayant présenté une MTV sur la ligne Paris-Réunion (6).

Embolie pulmonaire
(n = 13)
Phlébite
(n = 33)
Valeur de p

Âge,
sexe M/F

64 ±-11
3/10

47,6 ± 1
16/17

NS

Nombre de facteurs de risque

1,38 ±- 1,04 0,96 ± 4,8 p<0,0009
Immobilité totale pendant le vol 8(61 %} 5 { 15%) p < 0,001

Nombre de déplacements en cabine

0,8 ± 1 2,2 ± 1,9 p < 0,009
Délai de survenue inférieur à 24 h après l’arrivée 9 (69 %) 7 (21%)

p < 0,004

Mortalité

3 {23%)

0

p < 0,001

Comportement en vol

Une hydratation régulière et importante (boissons non alcooli­sées) permet de lutter contre l’hyperviscosité. II faut conseiller aux passagers de se déplacer régulièrement et de faire des mouvements d’assouplissement répétés. Cela va à l’encontre des recommandations de l’équipage, qui préconise de rester assis et attaché. Les programmes vidéo d’incitation à la mobi­lisation présentés par certaines compagnies mettent en scène des passagers toujours assis. II faut conseiller aux passagers de se lever et de marcher, en respectant les consignes de sécurité.

Port de bas de contention

Ils sont à recommander quasiment pour tous les passagers tant ils apportent un confort â l’arrivée en évitant l’augmen­tation de volume des membres inférieurs. Ils sont à prescrire absolument pour tout passager ayant des facteurs de risque de MTV. II existe différents degrés de contention, celle-ci étant exprimée en mmHg (14 à 30).

Aspirine

C’est un antiagrégant plaquettaire dont l’efficacité a été démontrée dans le système artériel systémique. Une étude a permis d’évaluer le rôle de l’aspirine qui a été nul en prévention des MTV induites par le voyage aérien (12). On ne retrouvait qu’une augmentation des épigastralgies.

Antivitamine K

Pour les patients qui ont un traitement par antivitamine K (AVK) efficace, aucune mesure complémentaire n’est à prendre. Une administration conjoncturelle d’AVK n’a guère de sens, mais aucune étude ne permet de répondre à la question.

Héparine de bas poids moléculaire

L’utilisation de ces molécules répond aux principes physiopa­thologiques de la MTV. Elles sont faciles à prendre et peuvent être injectées sans risque par le patient lui-même. Cependant, on retrouve dans la littérature une seule étude évaluant les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) en prophylaxie de la MTV en cas de voyage aérien, avec des résultats mitigés mais une tendance à la supériorite des HBPM sur tous les autres médicaments essayés, notamment I’aspirine. Ce type d’étude se heurte à plusieurs difficultés : faible incidence globale des INATV associées au transport aérien, problèmes éthiques, orga­nisation difficile. Les recommandations actuelles sont fondées sur des avis d’experts. Le nombre d’injections et le délai avant l’embarquement restent totalement arbitraires. Au vu de la fréquence importante des MIV sur la ligne Paris-Réunion, nous préconisons, chez les patients à haut risque de MTV, une injection de 0,4 ml d’énoxaparine (ou équivalent) 6 à 8 heures avant le départ et une injection le jour de l’arrivée 24 heures après la première injection.