Abrégé de Sécurité sociale et Mutuelles

Source la lettre de Galilée      

Progressivement, l’Etat a  repris la main sur la Sécurité sociale qui gère notamment le secteur de la santé. Au cœur du pacte républicain, élément emblématique de la solidarité, la Sécurité sociale est  un boulet pour l’Etat. Elle croule sous les déficits, même s’ils sont effacés par leur transfert à la CADES créée en 1996 qui est devenue une sorte de caisse de défaisance.
Résultat : dans le cadre de la politique de réduction des déficits publics visant à atteindre le fameux niveau de 3%, fixé par le traité de Maastricht et imposé par Bruxelles, la Sécu fait figure de mauvais élève.
En créant l’ONDAM, l’Etat s’est donné les moyens de maitriser les dépenses. Les premières années, l’Objectif n’était pas respecté et il fallait, en cours d’exercice, appliquer des mesures restrictives. Mais, depuis 4 ans, il est tenu et même sous-exécuté, ce qui est une réelle performance même si elle est un peu artificielle, notamment parce que les faibles dotations attribuées aux hôpitaux se traduisent par une dette pour les établissements. En d’autres termes, le déficit est transféré, telle une patate chaude ! L’Etat joue au sapeur Camembert qui creusait un trou pour en boucher un autre.

Le gouvernement se félicite de ce contrôle des dépenses, confondant maitrise et régulation.

La maitrise à grands coups de baisse des dotations, de blocages tarifaires, de ponction sur les laboratoires pharmaceutiques et de déremboursement est un exercice relativement facile.
Mais la régulation qui consiste ou consisterait à faire baisser les coûts de production des soins par une refonte de l’organisation des hôpitaux, à mettre en place un système d’information entre tous les acteurs du système de santé, à imposer le suivi des recommandations de la Haute autorité de santé, à éviter les actes et les consultations redondants, etc.. est un exercice plus compliqué et plus risqué politiquement….
L’Etat sait maitriser mais ne sait pas réguler…
Et si, pour sortir de cette impasse, il faisait appel à un allié qui n’attend que cela depuis longtemps : les assureurs complémentaires et plus précisément la Mutualité.

Depuis longtemps, la Mutualité se plaint d’être réduite au rôle de supplétif en ayant pour seule mission de prendre en charge ce que l’Assurance-maladie obligatoire dérembourse ou ne veut plus prendre en charge. Elle revendique d’être un gestionnaire à part entière du risque et vise à se substituer à la Sécurité sociale.
Lentement mais surement, elle est en train de gagner ce pari hautement stratégique.
Depuis plusieurs années, les assureurs complémentaires ont mis en place des réseaux de santé et des plateformes à partir desquelles ils orientent leurs adhérents vers des professionnels de santé avec lesquels ils ont contractualisé. En 2013, une loi a consolidé les réseaux de santé excluant toutefois les médecins. Mais les assureurs ont trouvé le moyen de contourner l’obstacle. Ainsi, la société filiale de plusieurs complémentaires santé – MAAF, MMA, Alliance, IPECA et Mutuelle générale de la police – a annoncé son intention de contractualiser avec des établissements hospitaliers – et pas directement avec les médecins – dans le domaine de l’orthopédie afin de « créer un réseau de soins d’excellence » dans cette spécialité amorçant ainsi la création d’un véritable réseau de soins, sur le modèle des HMO américains.
Et ce n’est qu’un début parce que ces embryons de réseaux de soins ne sont qu’une pièce d’un gigantesque puzzle.

En effet, les Mutuelles ont trouvé le moyen, en 2012, de mettre un pied dans le champ conventionnel avec les dépassements d’honoraires des médecins du secteur II, objets d’incessantes polémiques sur leur niveau excessif et discriminatoire. Le gouvernement – qui les avait dans son collimateur – a imposé à l’Assurance maladie de proposer aux médecins un contrat visant à encadrer leurs dépassements et à les faire prendre en charge par les… complémentaires.
Jouant le rôle de chevalier blanc de l’égalité des soins, la Mutualité a mis sur la table 150 millions d’€ pour financer ces dépassements mais a exigé, en contrepartie, de définir les critères d’éligibilité et d’avoir accès aux données de l’Assurance-maladie dans ce domaine.
La Mutualité a ainsi acheté son ticket d’entrée à la table des négociations conventionnelles.

La prochaine étape a été la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés qui se met en place le 1er janvier 2016.
Et si l’enjeu caché de cette avancée sociale était la substitution, pour la gestion du risque santé, de la Sécurité sociale par les complémentaires?
La vraie nouveauté de cette réforme ne réside pas dans l’augmentation du nombre de personnes bénéficiant d’une complémentaire – selon plusieurs rapports, la progression ne sera que de 1 ou 1,5% – mais dans la nature des contrats et les rapports de force.
Le contenu des contrats que les complémentaires doivent proposer est défini par un décret qui a déterminé une sorte de « panier de soins », c’est-à-dire – selon la définition communément admise – «
l’ensemble des produits, services et prestations de santé auxquels chaque assuré social doit pouvoir accéder sans barrière financière ». Grosso modo, il s’agit de couvrir le champ du ticket modérateur sur les consultations et les actes médicaux, sur les médicaments remboursés à 65%, sur les analyses et examens en tout genre, sur les frais de transport sanitaire et sur les frais de séjours hospitaliers. Ils devront aussi prendre en charge le forfait hospitalier. En ce qui concerne les dépassements d’honoraires des médecins, les contrats devront rembourser l’intégralité des dépassements des médecins ayant souscrit le fameux contrat plafonnant les dépassements d’honoraires et à 125% en 2015 puis 100% en 2016, les dépassements des médecins du secteur II n’ayant pas souscrit ledit contrat.
Pour les complémentaires, c’est un changement total de modèle économique. Elles vont devoir changer de terrain de jeu. Fini le temps où pour appâter le chaland, il fallait se lancer dans une sorte de course à l’échalote consistant à proposer toujours plus de prises en charge de dépassements, de prestations annexes (chambre individuelle, télévision, etc..), de pratiques plus ou moins médicales, comme les médecines douces ou encore l’homéopathie qui étaient autant de produits d’appel. Elles vont devoir répondre à des appels d’offres lancés par les entreprises et les branches professionnelles pour la souscription des contrats responsables de groupe.
Cette mutation fait leur jeu. En effet, cette logique du panier de soins redistribue les cartes du pouvoir médico-économique dont les complémentaires sont les grands gagnants. Non seulement, leur marché s’élargit et se stabilise mais, surtout, leur pouvoir sur l’ensemble du système médico-économique se renforce. En effet, dès lors qu’elles ont l’obligation de prendre en charge l’intégralité des tickets modérateurs, les complémentaires ne peuvent plus être tenues à l’écart des évolutions tarifaires et des niveaux de remboursement de l’Assurance-maladie obligatoire.
Les mutuelles, en particulier, sont appelées à devenir l’interlocuteur – pour ne pas dire le partenaire – privilégié de l’Etat en matière d’assurance-maladie. Aucune évolution du périmètre du panier de soins ne pourra se faire sans leur accord.